Ces derniers jours, je prends la mesure des diverses possibilités et contraintes des choix que je pourrais faire. Je ne suis plus sûr de ce que je vais faire ici et j'ai besoin de formuler par écrit mes questions, doutes et idées. Et si je pouvais avoir au passage quelques conseils ou un avis extérieur, ce serait volontiers.
Je suis venu à la base pour faire du vélo. L'idée est issue de l'envie de pouvoir se déplacer sans surconsommer du pétrole. Donc, initialement, je voulais venir au Congo à vélo depuis la Suisse. C'est le décès de Georges qui a tout chamboulé. L'important n'était plus de venir au Congo à vélo, mais de venir voir Mama Anto et Dubois et de pouvoir passer par certains lieux qu'il a aimés. Je crois que je n'ai pas encore accepté sa mort. Je cherchais autre chose par le voyage à vélo: le contact rude avec la vie et l'absence de luxe. Mais, ironie prévisible, la couleur de ma peau, la qualité de mon vélo et de mon matériel, ma formation universitaire, tous mes signes extérieurs incitent une bonne partie des gens d'ici à me regarder comme quelqu'un vivant en permanence dans le luxe et ayant une fortune infinie à dilapider pour les sortir de leur misère.
D'autant plus que je vois que le Congo est un pays où une personne raisonnable NE PEUT PAS mourir de faim. Le manioc pousse comme la mauvaise herbe. Il suffit de planter des boutures dans la terre et la nature se charge du reste. On récolte les tubercules (féculent), on récolte les feuilles (légume), et la plante continue à pousser et à produire tout au long de l'année. Et il y a des gigantesques étendues inexploitées, du gibier, un climat permettant deux récoltes par année, une forte demande pour la nourriture à Kinshasa,... Tout ce qu'il manque ici est la foi dans l'avenir et quelques investissements (que même un modeste enseignant comme moi pourrait assumer).
En fait, les possibilités du Congo sont grisantes. Le terrain est très bon marché: 300$ l'hectare. La main d'oeuvre est presque gratuite: un agronome sorti de l'école avec une bonne formation, gérant une exploitation fermière et devant y habiter (loin de sa famille) est bien payé avec 500$ par mois. Le climat est favorable à toutes sortes de cultures et d'élevages. La nature permet très facilement de créer des micro centrales hydrauliques. L'eau est omniprésente (bien que l'eau potable pose problème pour les gens qui ne connaissent pas les façons modernes d'en créer). Quant aux moustiques et aux maladies, leur présence est très relative: il n'y a presque aucun moustique ici à Mont Ngafula (les moustiques n'aiment pas la montagne, même si je connais bien des personnes qui ne considéreraient pas cette colline de terre culminant à 600m comme une montagne) et les maladies posent problème aux personnes n'ayant pas accès à une alimentation équilibrée ni aux soins.
Je dois dire que, comparé à la surpopulation et à l'aspect terminé de la Suisse, le Congo semble une terre bénie. Beaucoup d'entre vous savent que je crois que nous allons vivre une crise majeure en occident dans les décennies à venir. Je n'ai pas de preuve ni même de conviction que ce soit vrai. Mais j'y crois, surtout en voyant notre énorme capacité à éluder les problèmes réels par un "ils trouveront bien une alternative". Par exemple, on se lave à grande eau avec de l'eau potable. On l'utilise même pour laver le sol ou les machines. Et nos nappes phréatiques baissent petit à petit, le rythme des pluies ayant changé. Mais on continue à les surexploiter. Bref, je crois qu'il est temps de penser à un plan B, pour les jours où l'économie suisse ne permettra plus de faire venir suffisamment de nourriture de l'étranger. Pour moi, la ferme est la base de la survie. Mais la surface cultivable de Suisse étant très limitée, les possiblités congolaises m'inspirent. D'autant que les gens ici sont toujours très enthousiastes de voir quelqu'un vouloir investir et créer des places de travail. Donc je pense sérieusement à un projet de ferme au Congo.
Le gros problème dans ce projet est l'incompétence, ou plus précisément la tendance à minimiser l'importance des choses de beaucoup de personnes ici. Le manque de foi dans l'avenir incite les gens à rester oisifs et à se laisser assister. Le manque d'organisation est aussi omniprésent et handicape beaucoup les initiatives. Comme il y a beaucoup d'imprévus, tenter d'être à l'heure est un stress inutile, donc les gens prennent le temps de faire les choses lentement et peuvent arrêter un travail qui me semble important pour simplement aller véhiculer un parent ou un ami. Du coup, il y a encore plus d'imprévus et les choses prennent encore plus de temps. Il arrive même que l'on fasse des choses très stupides, par exemple, on m'a raconté l'histoire d'un fils qui a vendu des pièces de la voiture de son père, et la voiture ne fonctionnait plus. Donc, si je veux démarrer une ferme qui fonctionne et qui ne me fasse pas perdre de l'argent, je dois être là pour superviser et prendre le rôle de chef. En clair, il faudrait pouvoir être présent toutes les deux semaines au moins, donc habiter au Congo. D'après ce qu'on m'a dit, si je m'y prends bien, je pourrais même arriver à avoir un salaire plus élevé qu'en Suisse, vu que les personnes bien formées sont rares ici. Il y a beaucoup d'organismes internationaux qui ont trop d'argent (ou alors qui paient de cette manière pour que leurs employés deviennent des investisseurs et contribuent au développement du pays, je ne sais pas).
Mais l'idée de m'installer maintenant au Congo ne m'enthousiasme pas, car la plupart de mes amis et de ma famille est en Suisse. Et j'ai l'envie de rester enseignant. (En plus, la connexion ici est insuffisante pour jouer à LOL).
En fait, je pourrais être enseignant ici, mais je serais très mal payé. Même si je cherche à éviter de prendre le luxe comme acquis, je n'ai pas le courage d'aller volontairement vivre dans la misère. D'autant plus que ce serait un gaspillage de mes compétences: je peux apporter plus en gagnant plus et en ayant moins de soucis. Mais ma formation est très appréciée. Lorsque Soeur Marie Goretti, responsable de l'école de Kimbondo (tout près de chez Mama Anto), a su que j'étais prof de maths, elle m'a dit qu'elle n'allait plus me lâcher. Bon, ce n'est pas un problème pour moi, car j'ai l'envie d'enseigner. J'irai donner un cours la semaine prochaine pour que chacun puisse voir la faisabilité de la chose.
À présent, j'ai plusieurs possibilités.
1) Je fais mon voyage à vélo. Mais pour aller où et dans quel but?
2) J'enseigne un moment ici et je rentre (la self-cueillette de Fred est aussi une option fermière intéressante) Mais ça me donnerait l'impression de faire du tourisme humanitaire. Ce serait une solution si je finis par ne pas me plaire au Congo et si le vélo n'est plus mon but.
3) J'achète un terrain et reste au Congo pour le valoriser en trouvant un emploi super trop bien payé. Mais je n'ai vraiment pas l'envie de vous laisser tomber comme ça et je serais triste de ne plus enseigner.
4) autre solution... Mais je n'en ai pas encore trouvée de raisonnable.
De toutes manières, ça sera la solution 4) et je tenterai d'y combiner les trois premières. Mais si vous avez des suggestions, conseils, coups de gueule, ou autre, ça sera bienvenu.
Je pense bien à vous et vous embrasse! (enfin, pas n'importe qui quand même...)
Cf email...
RépondreSupprimerHello Florian !
RépondreSupprimerCa fait vraiment plaisir de pouvoir te suivre régulièrement (comme ça on s'inquiète pas trop...Ok JE ne m'inquiète pas trop). Je comprends ton ambivalence. Je pense que premiérement en ce qui concerne ton voyage actuel, il te faut écouter ce que te dit ton coeur, ta raison et ton envie et faire la balance entre ces trois influences pour déterminer ce que tu vas faire. Si tu as envie de rester dans le coin, de faire un peu de vélo et de voir quelques endroits précis ou si tu te dis que finalement tu n'as plus de but, tu en as assez, etc et tu rentres. Je pense qu'il ne faut pas te mettre de pression sur une décision à prendre concernant ton voyage. Laisse toi un peu de temps.
Pour ton projet, je le trouve étonnant et captivant à la fois. Mais tu as relevé quelque chose d'essentiel, tu n'as pas envie de t'établir maintenant au Congo. Et si tu gardais cette idée de ferme en revenant en Suisse pour la réaliser peut être dans plusieurs années ? Ou quand le moment sera plus propice ? Tu pourrais effectivement revenir travailler en Suisse comme enseignant, économiser un peu et ensuite te lancer pleinement dans ce projet sans regrets. Peut être même que certaines personnes en Suisse aurait envie de t'accompagner dans ce projet ? enfin je ne sais pas, je te dis ce qui me vient à l'esprit.
En tout cas pour le moment profites du lieu, ne te prends pas trop la tête à chercher forcément un but à ton voyage. Plus tu chercheras et moins tu trouveras. Je te fais plein de becs et pense bien à toi :-)
Vivement qu'on puisse rejouer à LOL !! xD
Comme l'échange par mail à ce sujet avec Viviane était très intéressant, je le poste comme commentaire avec son accord.
RépondreSupprimerElle m'a posé une série de questions et j'y ai répondu à l'intérieur du mail.
A cause de sa taille, je dois le scinder en plusieurs parties.
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intro)
Vivi:
Je t écris vu que tu nous demande notre avis... mais je t envoie un mail car j ai bien envie de te tirer les oreilles et comme je ne sais pas qui lit ton blog je voudrais pas que ça soit inopportun.
Flo:
Je n'ai pas vu en quoi tu me tirais les oreilles. Tes questions sont intéressantes. Cela dit, je me les suis déjà posées.
Vivi:
Je suis étonnée de tes dernières nouvelles en meme temps pas complètement. voici les questions que je souhaiterais te poser:
1)
Vivi:
remets tu en doute ton voyage a vélo car tu n'y trouve plus de sens?
Flo:
oui, mais aussi parce que mon voyage à vélo n'est pas le seul but de mon départ. Je suis aussi venu voir la mère à Georges. Elle travaille en ce moment et commence à toucher sa retraite à partir de septembre. Donc si je pars à vélo début septembre comme prévu, ce n'est vraiment pas sympa pour elle.
Vivi:
Realises-tu que l'Afrique te fais peur?
Flo:
oui, sans que ce ne soit une surprise
Vivi:
Que l'inconnu à vélo et seul est une épreuve difficile?
Flo:
non, ça, je savais déjà
Vivi:
As tu peur de mourir?
Flo: oui, dans la mesure où il m'est difficile actuellement de mesurer le danger réel que je cours en faisant un tel voyage. D'autre part, tu sais à quel point mon imagination peut vite prendre le dessus, notamment lorsqu'il s'agit de maladie ou de danger physique en général
Vivi:
Peur de n'être traité que comme un blanc riche et pas comme un florian?
Flo: Ce n'est pas une peur, mais plutôt un truc qui m'énerve
2)
Vivi:
veux-tu acheter du terrain congolais pour fuir la suisse et ta vie qui lui est ratachée?
Flo:
Non, absolument pas. S'il y a quelque chose que je veux fuir en Suisse, c'est le manque d'options raisonnables et la surconsommation nécessaire aux relations sociales.
Vivi:
Ou Veux-tu véritablement fuire la crise économique à venir?
Flo:
Pas uniquement, comme je viens de le dire
Supprimer3)
Vivi:
tu voudrais vivre de facon rustique...pourquoi?
Flo:
ne te méprends pas. Je ne veux pas retourner à l'âge des cavernes. Je souhaite avoir accès à internet, avoir l'électricité, si possible l'eau courante, l'accès à des soins de qualité,... mais pas dans la mesure extrême de la Suisse. Si l'idée d'une ferme au Congo me tente, c'est parce que j'ai besoin de ce contact avec la terre, et que les options pour créer une ferme en Suisse ne me semblent pas raisonnables: la suisse ne peut pas produire assez de nourriture pour ses habitants; seule la culture intensive, gérée par des industries agricoles pourrait nourrir tous les habitants: ce n'est pas en créant une petite ferme que je pourrai aller dans ce sens-là. Néanmoins, si je fais une ferme en Suisse (j'ai parlé de la self-cueillette de Fred), j'empêche un terrain d'être utilisé pour la construction. Donc cette option a aussi des avantages.
Vivi:
Es-tu dérange par l'injustice?
Flo:
Oui et non. Je trouve surtout que l'injustice est un mauvais calcul. Les inégalités ont leur sens. L'exploitation de ses semblables est mauvaise.
Vivi:
Ta vie de nanti suisse te semble t-elle plus difficile à supporter lorsque le monde qui t entoure est si démunis. Comme si le fait d'être nanti te supprimait le droit d'avoir tes doutes, tes tristesses tes déceptions, voire,de trouver ta vie parfois dénuée de but ou de sens?
Flo:
Non. Ceci ne me pose aucun problème. Je ne vois même pas la misère, si je n'y prends pas garde. Pour moi, la vie rustique est une vie différente, mais pas mauvaise. Ce qui me gène, c'est la façon dont les gens sont mal informés et sont maintenus dans une situation de précarité en les incitant à prendre de mauvaises décisions. Et aussi, l'attitude d'assistés de beaucoup de personnes ayant la capacité de s'en sortir m'énerve.
4)
Vivi:
l'injustice semble te déranger pourtant cela ne te semble pas injuste de quitter ta suisse pour acheter de la terre africaine avec un pouvoir d achat suisse alors qu'un instituteur congolais après trente ans de labeur peut tout juste vivre. Ton pouvoir d'achat supérieur n'est-il pas la marque de la plus profonde de injustice et de l'arbitraire façonné par un système economique planetaire defaillant...
Flo:
Tu as raison, c'est une injustice. Mais si je veux acheter du terrain au Congo et y faire une ferme, ce n'est pas uniquement pour moi. C'est aussi l'occasion de faire venir des devises étrangères au Congo, de créer des emplois, de proposer une solution à la situation de beaucoup de congolais, de montrer aux Suisses que l'on peut faire de l'argent au Congo pour les inciter à investir (car c'est la seule chose qui manque ici)
5)
Vivi:
serais-tu véritablement heureux de vivre au Congo?
Flo:
C'est la grosse question. Je ne sais pas. Et mes amis me manqueront.
Vivi:
Les gens t adopteront-ils comme l'un des leurs?
Flo:
Certains le font déjà. Mama Anto m'appelle son fils. Une fois, dans la rue, des enfants m'ont appelé "mundele". Je leur ai dit en lingala que je ne m'appelais pas "mundele" mais "florian". Et un homme qui passait par là a sermonné les enfants en leur disant que si je viens vivre avec eux, je ne suis pas un "mundele" (dans ce contexte, pas un snob) mais que je suis l'un des leurs.
Vivi:
Ne sera tu pas éternellement condamnés à être ce riche blanc? Qui s est acheté la terre africaine avec ces sous suisses?
Flo:
Ça, évidemment. Il y aura toujours quelqu'un pour me voir comme une vache à lait.
Conclusion)
Vivi:
Ahaaah il y aurait de quoi discuter
moi j ai choppé la lubie les dernières semaines de révisions tellement j'en avais marre de mes bouquins. La lubie de traverser l,eurasie a vélo... c une épidémie les projets fous...
Allez, tiens nous au courant.!!!!!
Flo: Cool ton projet. Il me redonne envie de réaliser le mien.
Mon petit Florian,
RépondreSupprimerJ'ai traversé ton petit texte que j'ai trouvé bien structuré et bien écrit pour quelqu'un qui ne sait pas où il en est. Je ne vais pas te répondre grand-chose, et ça ne va peut-être pas t'aider. Enfin bon. La crise de l'Occident et la montée de l'Afrique, c'est une théorie que j'ai souvent entendue, que je n'ai jamais crue et que je ne croirai jamais. La seule théorie que je crois, c'est la crise du monde entier. La montée de l'Afrique est impossible pour les raisons que tu évoques dans tes élucubrations. Donc une motivation de rester au Congo pour les aider à monter, ou pour être là où ça monte, me paraît injustifiable. De plus, y rester pour construire une ferme pour aider les gens qui y sont me paraît être comparable à la construction d'une grande arche et d'y mettre tous les malheurs du monde. Si c'est ton plaisir personnel de bâtir une ferme et d'y vivre de chasse et de cueillette, ce qui est un joli projet, mais pour toi, pas les autres, alors je peux concevoir que tu y réfléchisses. Ce n'est pas quelque chose que tu pourrais te permettre de faire en Suisse. En outre, ce serait super pour tes amis Suisses aussi, que tu pourrais inviter de temps à autres pour les vacances dans ton domaine (ouaaaaaaaais! Y a la plage tout près ? on peut venir faire un safari chez toi ?).
Concernant tes autres motivations, je ne vais pas rentrer dans le détail, car je n'ai pas vraiment d'opinion. La seule sur laquelle je peux me prononcer est la motivation du tour à vélo en Afrique. T'as pris une année sabbatique. Profites-en. Visite le pays, le continent, mais prudemment. Tu ne pourras peut-être plus avoir de telles occasions.
++
Caie, Caie...
SupprimerToujours une vision decalee. Enfin bon... tu as raison sur le fait que je dois le faire pour moi et pas pour les autres. Mais tu me perturbes avec ton image de l'arche pleine des malheurs du Monde. Ce n'est pas du tout ce que j'imagine, mais je n'arrive pas non plus a etre convaincu que ce ne serait pas ca. Au moins je vais tenter de l'eviter. Cela dit (pour me rassurer), je n'ai aucun mal a ne pas donner d'argent a ceux qui cultivent la mentalite d'assistes. "Comment faites-vous pour avoir faim avec une nature si genereuse?"
Et puis, depuis le temps que j'ai recu ton message, pas mal de choses se sont passees et j'ai vu que c'etait beaucoup plus drole de faire du business que de l'humanitaire, meme si ma vision a long terme et mon ethique m'empechent d'abuser des personnes. Mais la quantite de choses a faire ici est grisante: chaque idee a ses chances d'etre realisee et d'etre rentable. Si ca se trouve, c'est principalement l'envie de construire un truc quelconque qui me motive.