dimanche 25 novembre 2012

Une petite reponse ?

J'ai voulu me faciliter la vie en donnant des nouvelles par un blog. Pas le risque d'oublier quelqu'un. Pas besoin de formule de politesse. Pas besoin d'envoyer les messages.

Mais bon... les reponses sont assez rares. Je dois avouer que j'aurais aime que l'on reagisse plus souvent a mes propos. Surtout lorsque j'ai parle du projet principal. Meme par mail (que vous pouvez trouver en cliquant sur mon nom d'utilisateur google). Et vous pouvez toujours utiliser le compte google que j'ai ecrit sur la page d'accueil de mon blog pour poster un commentaire.

En fait, je niauche pour recevoir un message de votre part parce que je m'ennuie de vous.

Honte et Fierte

Je suis arrive au Congo avec des a-prioris. Notamment, je me sentais coupable d'etre ne dans un pays riche, ou le luxe materiel est omnipresent. Je pensais que, bien que la Suisse n'ait pas eu de colonie, elle avait beneficie du commerce avec ses voisins imperialistes, donc indirectement contribue a l'humiliation et a la destruction des peuples qui ne connaissaient pas la poudre a canon.

Une fois sur place, cette impression s'est renforcee. Certaines personnes m'abordaient pour me demander de l'argent. On m'expliquait que tout allait mal. On me traitait comme un etre superieur. Je n'aimais pas ca.

Puis j'ai vu que la situation n'etait pas vraiment celle dont on parlait. Il n'y a pas de luxe materiel ici pour la plupart des gens, c'est vrai. Mais il y a des gens suffisamment riches pour importer a grands frais des produits europeens (la douane du Congo est la plus chere au monde), alors qu'ils pourraient en produire sur place. Il y a des gens qui ont faim et doivent aller se coucher sans manger, c'est vrai. Mais il y a une nature genereuse. Lorsque je discute avec des gens sur les terres inexploitees et la faim a Kinshasa, j'ai parfois des reponses du genre: "Le terrain n'est pas a moi." Je suggere de s'entendre avec le proprietaire. "On n'a pas de machine." Je parle des Chinois qui sont devenus les maitres du monde par le travail et qui laissent a leurs enfants une Chine forte ou personne n'a faim. "C'est a chacun son tour de vivre." (Bon, la je cumule les reponses debiles que j'ai pu entendre: la plupart des gens n'ont pas cette reaction.)

La tendance generale est de dire: "Le gouvernement ne fait pas ceci.", "Les belges nous ont fait cela.", "Le Rwanda nous attaque.", "Les multinationales nous exploitent.", ... et on prie Dieu pour qu'il regle tous les maux. On se plaint des nombreuses corruptions necessaires pour pouvoir avancer (obtenir une autorisation, retrouver les copies d'examen soit-disant egarees, accompagner un mourant dans une ambulance,...) mais on les accepte et personne ne se revolte. On rale, c'est tout. (La encore, c'est caricatural: il y a des gens qui se battent pour faire changer les choses. Mais ca reste une tendance marquee dans ce que je vois.) Je trouve qu'il y a peu de gens qui se responsabilisent pour changer la situation. J'ai meme tendance a penser que cette situation n'est pas mauvaise en soi, car elle a des avantages enormes. Par exemple, on peut vivre au jour le jour. Pas de stress, mais des gros pepins imprevus. De l'insouciance mais des soucis. Ici, il n'y a pas de saison ou la terre ne produit rien. Vivre ainsi est raisonnable. Sauf qu'a Kinshasa, on veut copier l'occident et vivre au meme rythme sans savoir les sacrifices que necessite une telle vie.

Je me suis finalement rendu compte qu'en Suisse, on travaille beaucoup et qu'on fait du bon travail. La richesse de la Suisse est aussi due au travail de ses habitants. Le bon fonctionnement des institutions est aussi du a l'esprit de responsabilisation des Suisses.

En arrivant, j'ai aussi pense que j'etais fragile, que j'avais une tres petite tolerance a la douleur, que ces gens vivant dans la misere etaient plus solides que moi, que ma vie luxueuse m'avait rendu faible. Or je vois que, s'il est vrai que je suis plutot sensible a la douleur physique, la difference n'est pas aussi significative que ce que je pensais, et j'ai une enorme capacite a encaisser la douleur morale, une excellente maitrise de moi, un code de conduite que je peux admirer comme on admire la droiture des Samourais. Au Congo, on exteriorise sa douleur. On exteriorise sa joie. On danse et chante quand on en a l'envie. On peut pleurer en public. On peut crier sa colere en public. Toutes ces choses que l'on considere comme des faiblesses en Suisse sont normales au Congo. On est libre de faire. En Suisse, on fait passer le travail avant toute autre chose. Par exemple, vendredi dernier, j'avais besoin de parler a mon pere. Je lui ai telephone. Comme il avait du travail, il m'a dit qu'il me rappellerait dans la soiree, ce qu'il a fait. Au Congo, si j'avais eu la meme demande, il aurait arrete son travail immediatement pour m'aider sans chercher a savoir si j'avais reellement besoin d'aide ou si c'etait un caprice. En Suisse, on souffre du manque de relations sociales, du manque de spontaneite, de la rigueur du code de conduite. Au Congo, on souffre du manque d'infrastructures efficaces, du manque de rigueur dans le travail, de l'improvisation et de l'informel. Ces facons de faire me semblent parfois deux extremes opposes, et je pense que l'on aurait beaucoup a apprendre les uns des autres. Par exemple, en Suisse, on pourrait s'occuper un peu mieux de nos proches lorsqu'ils sont malades. Etre present et disponible sans etre envahissant n'est pas tres complique, mais necessite un certain savoir-faire et un changement dans le sens des priorites. Et au Congo, on pourrait prendre l'habitude d'estimer raisonnablement le temps que prennent les differentes choses pour organiser sa journee. De nouveau, n'est pas tres complique, mais necessite un certain savoir-faire et un changement dans le sens des priorites.

Actuellement, je suis fier d'etre Suisse. Je vois que nous avons nos forces comme nos faiblesses. Mais, ayant grandi dans cette culture-la, ce sont les forces cultivees en Suisse qui me paraissent importantes. J'aime l'efficacite (meme si j'aime "perdre du temps" a faire des choses qui ne rapportent rien en apparence). J'aime etre actif (bien que je sois parfois tres oisif). J'aime que les choses soient bien presentees et soignees (dans une certaine mesure, pour ceux qui ont deja vu ma chambre...). J'aime la fiabilite. J'aime assumer mes responsabilites. J'aime ce qui est raisonnable (mais attention au mot "raisonnable": on le confond souvent avec le mot "habituel"). Je n'aime pas le bruit. Je n'aime pas etre dependant. Je n'aime pas respecter une regle qui me semble injustifiee, meme si celui qui l'a emise est hierarchiquement superieur. Je n'aime pas abuser de ma position lorsque celle-ci me donne plus de pouvoir que d'autres.
Je ne pretends pas que ces gouts-la soient les gouts normaux d'un Suisse moyen. Mais ce sont les miens et ils sont issus du contexte dans lequel j'ai grandi.
Je ne pense plus etre redevable envers les descendants des peuples exploites par les ancetres de certains de mes voisins. Je pense toujours qu'il faut raisonnablement repartir les richesses et ne pas accepter l'exploitation de l'humain comme objet de profit.
Mais je pense aussi que la situation congolaise appartient aux Congolais. Que personne d'autre qu'eux ne peut la changer. Que, s'ils ne sont pas coupables d'etre les descendants d'un peuple humilie et brise par des gens qui avaient une arme de guerre beaucoup plus efficace, ils sont responsables de la facon dont ils agissent avec cette situation. Et ils ont les moyens de s'en sortir.

Finalement, j'aimerais vous dire de ne pas prendre mes textes pour des enseignements sur le Congo. En les relisant et en y repensant, je vois qu'ils manquent d'informations. J'aimerais toujours les modifier, les corriger, les perfectionner. Mais aucun texte, aussi bien ecrit soit-il, ne peut remplacer l'experience vecue. Et tous les textes sont ecrits par des humains qui transmettent leur vision subjective du monde. On choisit ce qui nous semble important, on omet ce qui semble insignifiant. Or, les choses insignifiantes sont les plus nombreuses. Et les choses que l'on juge importantes sont souvent des singularites, donc moins nombreuses. J'imagine que les choses insignifiantes a mes yeux sont les plus importantes en realite. (je m'arrete la, car je risque de commencer un monologue sur l'importance et l'insignifiance)

mardi 20 novembre 2012

Driving in Kinshasa, the Revenge of the Policemen

Je commence a m'habituer a la circulation kinoise. La logique n'est pas compliquee: le premier qui est la a la priorite. Et si l'on montre que l'on est pret a cabosser encore plus son vehicule, on a plus de chances de passer. Sinon, on essaie de rouler a droite et la plupart des gens evitent de creer des embouteillages, par exemple en depassant une file de voiture arretee et en bloquant les vehicules venant en sens inverse. Mais bon... il y a toujours un cretin pour le faire quand meme.

Bref, le fait que j'ai achete une voiture s'est avere tres utile. D'une part parce que la voiture de Mama Anto est souvent en panne. D'autre part parce que nous sommes plus flexibles et pouvons mieux gerer les imprevus. Par exemple, il a fallu plusieurs fois vehiculer Mama Anto chez Tantine Mimi, sa soeur, la veuve de Tonton Johnny, celui qui est decede en deuxieme (eh oui, les familles sont grandes...) En fait, la belle famille n'arretait pas de brandir la "culture" pour tenter de s'approprier les biens de leur defunt frere au detriment de sa femme et de ses enfants. Ils mettaient beaucoup de pression sur Tantine Mimi en la harcelant. Elle devait se coucher par terre, pleurer son mari en permanence, nourrir les pique-assiette (ie sa belle famille) qui venaient chez elle, leur donner de l'argent pour des raisons que je n'ai pas comprises, elle se faisait insulter, on l'accusait d'avoir tue son mari,... Le matin de la veillee funebre, Dubois est alle cherche un pneu, de l'essence et des allumettes pour intimider la belle-famille. Comprenez qu'ici, avec un pneu, on peut immobiliser quelqu'un en le mettant dedans, avec l'essence, on asperge le tout et avec les allumettes, on fout le feu. C'est ainsi que les jeunes Kinois ont expulse les rebelles de Kinshasa. Donc un pneu, de l'essence et des allumettes fait peur. Lors d'un enieme harcelement, il est entre avec ses cousins, l'air tres menacant. Tout le monde a pris peur. On leur a demande de sortir. Il a dit qu'il venait simplement demander a Maman si elle etait fatiguee, ce qu'il a fait. Plus tard, il a informe qu'il avait un pneu et de l'essence dans la voiture. Ca a calme les gens. Grace, mon cousin, est alle jusqu'a gifler une femme qui harcelait Tantine. Personnellement, j'etais absent. Et j'en suis tres content, car je n'aurais ete d'aucune utilite et la situation etait tres desagreable.

Actuellement, il semblerait que la situation soit plus ou moins terminee. Et les palabres ont permis d'empecher que la tante et les cousins se retrouvent a la rue. Heureusement que Mama Anto a ete deputee et qu'il y avait un ancien ministre raisonnable dans la belle famille. Ils ont su etre ceux que l'on ecoute.

Si Mama Anto est tombee malade suite au premier deuil, Dubois a fait une crise de malaria aigue a la fin du deuxieme. La encore, ma voiture a ete tres utile. Il m'a fallu traverser Kinshasa a plusieurs reprises, et parfois seul. Vendredi dernier, j'ai ete arrete parce que je n'avais pas de vignette. Bon, je voulais de toutes facons en acheter une et l'amende etait tres petite. Cette fois-la, les policiers ont ete tres corrects et m'ont tres bien traite. Il fallait simplement que j'aille payer l'amende a la banque pour recuperer la carte rose (l'equivalent de la carte grise) et recevoir une vignette. J'y suis alle hier (lundi)...

Au carrefour d'UPN: arrestation, parce que je n'avais pas la vignette. J'ai montre l'amende. On m'a dit que j'avais deux jours pour payer. C'etait deux jours plus tard et il y avait eu le week-end entre deux. J'ai insiste un peu et on m'a laisse partir.

A Matadi-Kibala: arrestation, parce que je n'avais pas la vignette. J'ai montre la quittance. On m'a dit que c'etait en ordre. On m'a rendu la carte rose et donne la vignette. J'ai donne un petit quelque chose aux policiers parce qu'ils avaient bien fait leur travail.

Au Rond-Point Ngaba: arrestation, parce que... fausse raison debile. J'avais les fenetres montees et les portes verrouilles. J'ai presente les papiers du vehicule contre la fenetre pour eviter qu'ils ne les gardent. Cinq minutes d'engueulades. "C'est pas comme ca que ca se fait! Je dois toucher!" dit le policier. "Vous lisez avec les doigts?" lui gueule le mundele. "Est-ce qu'il a la vignette?" dit un collegue en lingala. "Vignette eza" (il y a une vignette) crie le mundele. Ils m'ont laisse partir.

Au Boulevard Lumumba: arrestation, parce que... "Non pas les papiers... vous avez une biere pour nous?" Non. Ils m'ont laisse partir.

Sur l'avenue Batatela: Plainte de policiere qui dit que c'est difficile ici, qu'elle a faim. Je n'en pouvais plus. Je lui ai donne cent francs congolais (l'equivalent de dix centimes). Ce n'est presque rien, mais je voulais juste qu'elle me foute la paix. J'etais creve.

Au Rond-Point Victoire: arrestation, parce qu'ils faisaient la circulation et que je n'avais pas suivi les directives, comme tous les autres vehicules. Je n'ouvre pas. Je ne donne pas les papiers. Je les plaque contre la vitre. Malheureusement, les fenetres etaient suffisamment ouvertes pour qu'un des policiers puisse glisser sa main a l'interieur, deverouiller et ouvrir la porte. Je n'ai quand meme pas donne mes papiers. Il etait 16h30 passee, donc ils ne pouvaient pas verbaliser. Mais ils insistaient. J'ai appele Dubois qui etait a l'hopital pour lui dire que j'etais retenu. Il a appele Mama Anto qui m'a rappele pour parler au policier et qui a menace d'envoyer des policiers plus grades qu'eux. Apres quelques minutes, ils m'ont laisse partir, mais en me demandant de "penser a eux" sans sortir de la voiture. J'etais tellement fatigue que j'ai donne 500 FC (de quoi se payer une limonade). Lorsque je partais, Mama Anto m'a rappele pour dire que Tantine Mine (la femme du vice-premier ministre) avait envoye des policiers. Je lui ai dit que c'etait bon et qu'elle pouvait annuler.

Ce jour-la, j'en avais vraiment marre de la police. Et maintenant, je deviens paranoiaque. Des que je les vois, je monte les fenetres et verouille les portes. Mais en general, je n'ai aucun probleme.

En ce moment, je suis a l'hopital avec Dubois, Candide (avec qui nous etions alles au bourd du fleuve Congo il y a trois mois) et Emilie (une cousine qui est chez nous depuis une semaine). Je n'ai pas ete arrete sur le chemin pour venir, bien que j'etais seul.

lundi 12 novembre 2012

Projet principal

Je devoile enfin mes projets. Ils sont loin d'etre aussi clairs que ce que je souhaitais avant de pouvoir en parler, mais ils ont suffisamment avance pour le faire.

Je peux deja vous dire que je vais rentrer entre janvier et juillet 2013. Tout dependra de comment mon projet principal avance.

Je vous avais deja parle de mes doutes quant a l'avenir de l'economie occidentale et, par consequent, de mes doutes quant a la viabilite en Suisse a long terme. La terre en Suisse ne peut pas suffire a nourrir tous les habitants. Si nous n'avons plus l'argent pour s'approvisionner a l'etranger, nous vivrons une famine. Et s'il y a une famine, les gens seront prets a tout pour survivre a l'hiver. Donc danger.

Mon idee initiale etait d'acheter un terrain au Congo (on peut trouver assez facilement des terres entre 100 et 200$ l'hectare) pour avoir une porte de sortie en cas de crise. Meme si cette crise reste hypothetique et peut ne pas se produire, ca peut faire un chouette coin ou passer des vacances sous les tropiques (merci Caius pour cette remarque).
Mais ce terrain a pour but d'etre un plan B en cas de crise. Si je dois fuir la Suisse en vitesse et que j'arrive dans un endroit ou il faut trois mois pour que les premieres cultures poussent, je vais vraiment avoir du mal. Donc il faut que ce soit deja cultive et habitable lorsque j'y arrive. D'ou l'idee de faire une ferme. En plus, il y a beaucoup de gens prets a travailler ici. 90% de chomage.
Le gros probleme est de pouvoir gerer l'exploitation depuis la Suisse. Je n'ai actuellement pas l'envie de m'etablir au Congo. Si je suis absent et qu'il n'y a personne pour superviser le travail, les employes verront leur salaire arriver et les boutures disponibles pour leur propre jardin. Ils seraient bien betes de ne pas en profiter. Donc ca ne pourrait pas marcher ainsi. Sauf si, en plus d'avoir un contact fiable qui visite periodiquement la ferme, je donne quelque chose a gagner aux travailleurs. Ils doivent avoir plus a gagner en faisant fonctionner la ferme qu'en volant les cultures. Donc je ne peux pas m'enrichir seul si je ne veux pas rester au Congo. Je veux fonctionner de la maniere suivante.
1) J'achete le terrain (j'imagine 100ha), les materiaux pour construire les batiments indispensables (etable, cuisine-dortoir, biodigesteur et autres, selon les necessites), les infrastructures indispensables (purificateur d'eau, latrines, pompe pour arroser et abreuver), les reserves de nourriture pour debuter la ferme, une petite reserve de medicaments, les outils, les boutures, les graines, le betail.
2) J'engage une dizaine de personnes en leur expliquant ce qu'ils ont a gagner. Premierement, l'acces a la nourriture, a l'eau potable et aux premiers soins. Puis, plus la ferme produit, plus vite viendra le prochain financement qui permettra d'ameliorer les infrastructures. Par exemple, lorsque la ferme a reussi a rembourser 2000$ au financier, plus a produire 2000$, la ferme et le financier achetent un panneau solaire, des batteries, du fil electrique et quelques ampoules pour l'eclairage nocturne. L'argent verse sur le compte de la ferme serait l'indicateur de l'avancee de la ferme. Tant que l'argent n'est pas arrive, le financement suivant n'arrive pas. Un financement suivant serait des abris individuels, qui deviendraient a terme des maisons. Un autre serait un dispensaire. Un autre serait un vehicule a disposition des travailleurs (par exemple une moto). Suivant la taille de la ferme, on peut imaginer une ecole (je pense commencer le travail avec des jeunes qui n'ont pas de famille, mais ils auront certainement vite des enfants et il faudra les instruire). Un financement important, mais assez tardif serait une micro-centrale hydroelectrique. On peut aussi imaginer installer une connexion internet et un petit cybercafe. Mais le plus interessant pour eux est de devenir proprietaire d'une partie du terrain. Le financier sera le proprietaire a la base, mais je eux que lorsque la ferme fonctionnera et qu'il sera rembourse, le terrain soit partage en parts egales entre les travailleurs et le financier. Chacun aurait 8 a 10 ha, selon le nombre de personnes (largement assez pour subvenir aux besoins d'une grande famille et pour s'enrichir). Et il aurait une maison, l'electricite, le gaz, l'eau potable, la nourriture, acces aux soins (peut-etre une mutuelle de sante, a calculer), de quoi s'enrichir,... Cela deviandrait une communaute agricole, qui pourrait etre dissoute si le besoin se fait sentir. Il faudrait juste veiller a gerer les infrastructures communes de facon raisonnable.
3) Je fais demarrer le projet, je rentre en Suisse et je le supervise sans me faire trop de soucis: de toutes facons, la valeur du terrain au Congo ne peut qu'augmenter. Et comme je suis l'algorithme de financement dont j'ai parle, le trou produit par les financements ne sera jamais plus de 50000$. Bien sur, le financement n'irait pas directement chez les travailleurs car, a cause des grands besoins d'argent pour faire vivre la famille a Kinshasa, ils seraient tentes de se servir pour payer les frais de scolarites des freres et soeurs, pour payer les frais d'hospitalisation de la tante,... donc les financements passeraient par la personne de contact fiable, qui ne ferait pas partie de la ferme, mais jouerait le role de superviseur. Cette personne irait acheter les produits necessaires et les acheminerait a la ferme.

En plus de ca, j'aimerais imposer certains comportements visant a laisser le milieu sain et agreable. Par exemple, une gestion raisonnable des dechets (entendez par la separer les compostables des incinerables et limiter les incinerables), eviter de deboiser et laisser des des zones non cultivees (d'ou l'interet de fonctionner avec un biodigesteur pour cuisiner au gaz au lieu du bois), amenager des zones de detente,... Mais je ne sais pas encore comment expliquer simplement et faire respecter ces directives sans etre present. La methode la plus prometteuse a laquelle j'aie pense est un systeme de controle par la personne de contact qui pourrait, selon le respect ou non-respect de ces exigences, avancer ou retarder le financement a venir. Si vous avez des suggestions, je suis preneur.

Toute la partie quantitative reste encore a definir et va dependre de beaucoup de parametres que je ne connais encore pas, mais l'idee generale est la. De plus, j'ai les contacts necessaires pour pouvoir limiter les dessous de table necessaires a demarrer un projet (les signatures peuvent couter cher ici, mais moi, je connais Tonton Daniel qui lutte contre la corruption tralala). Ca me permettra aussi de faciliter l'immigration du financier. Les formalites a remplir peuvent etre preparees a l'avance.

"Pourquoi parle-t-il du financier au lieu de parler de lui-meme?" vous entends-je penser. Simplement parce qu'il n'y a aucune raison que je sois le seul a vouloir realiser un tel projet. Mon idee va plus loin qu'une ferme. J'aimerais mettre en place l'infrastructure necessaire pour que d'autres personnes puissent faire le meme financement et que d'autres fermes demarrent. Alors maintenant, relisez les paragraphes precedents en imaginant que vous etes le financier et que la personne de contact fiable qui gere la ferme, c'est une entreprise fiable. (la, c'est Nathalie que je dois remercier pour cette remarque, meme si en fait, j'y avais pense presque depuis le debut)

C'est fait? Maintenant, je vous entends penser "Mais les maladies? Mais l'instabilite politique? Mais les guerres? Mais les jalousies? Mais ou j'ai mis mes clefs?" ... je ne suis pas sur que je sois deja passe maitre dans la psycholecture. Mais je vais quand meme vous repondre. (Bon, en fait, ce sont pour la plupart des questions de Cedric que je remercie au passage)

Les maladies: Comme partout, on peut tomber malade et on peut en mourir. Et l'hygiene de vie a une tres forte influence sur la capacite a survivre a la malaria sous les tropiques et a la grippe sous nos latitudes. S'il est vrai qu'il y a une mortalite infantile beaucoup plus elevee au Congo, il est deraisonnable de penser que tous les agents pathogenes exotiques presentes avec une musique dramatique sur TV5Monde vont nous sauter dessus. Il y a meme des agents pathogenes qu'on peut tres facilement supporter, juste parce que notre corps est fort contre eux. Personnellement, les vers et les amibes ne m'ont pas fait souffrir, alors que ma flore intestinale en etait remplie. D'autres personnes sont bien resistantes a la malaria. D'autres personnes ont une peau en bonne sante. Et souvent, tout va bien. Ce qu'il faut retenir, c'est que les maladies sont gerables comme partout. Mais ces foyers d'ebola? Comme pour les pousses infectees par escherischia coli l'annee d'avant, on peut manquer de bol. Mais il y a peu de malades d'ebola et les foyers sont localises et identifies.

L'instabilite politique et les guerres: La RDC a une reputation de pays-toujours-en-guerre. Il y a du vrai la-dedans, mais ce n'est que depuis la chute de Mubutu et c'est tres localise. Et s'il y a une crise en occident, il va probablement aussi y en avoir en Afrique. Mais il y a a-peu-pres la meme distance de Kinshasa au Nord-Kivu qu'entre la Suisse et les Balkans. Mais avec des voies de communications plus difficiles au Congo. Il existe des endroits au Congo ou la main de l'homme n'a jamais mis le pied. Il est facile de ne pas etre inquiete par une armee. Le danger en cas de guerre au Congo est de se situer dans une grande agglomeration ou sur un grand axe ou une armee pourrait passer et piller. Donc il faut eviter d'etre sur un grand axe. Probleme: pour ecouler la marchandise, il faut etre sur une voie de communication facilement pratiquable. J'ai des debuts de solutions, comme un endroit idyllique entre deux canyons (l'acces doit etre construit mais peut etre coupe), avec des possibilites de microcentrale, a 5km de la route Kinshasa-Kikwitt. Cliquez sur le lien "pays/territoire" au bas du post. Mais je cherche encore.

Les jalousies: Que l'on soit etranger ou pas. Que l'on vive au Congo ou en Suisse. Si l'on reussit une chose, certaines personnes peuvent vouloir nous nuire par jalousie. C'est entre autres pour cette raison que je ne vise pas une grande ferme industrielle, mais une discrete communaute agricole. Je pense aussi informer les gens qui pourraient etre jaloux des possibilites de demarrer une ferme similaire, en contactant l'entreprise qui les gere. Le probleme specifique au Congo est le vol frequent. Et il y a une solution du terroir a ce probleme: acces difficile pour pouvoir rattraper un voleur (ok) et sentinelle ou garde (quelqu'un aura cette tache).

Les clefs: en general, elles sont dans la poche de l'autre pantalon, sur la commode ou dans la serrure.

Maintenant que je vous ai rassures, je vous pose la question: est-ce que vous seriez tente par une telle aventure?

Imprevus et vie sociale

Deux semaines apres le deces de Tonton Walker, il y a eu les palabres. C'est-a-dire l'heritage. On m'avait dit que traditionnellement, la famille du defunt reprenait toutes ses possessions (y compris la maison) et que sa femme et ses enfants devaient se debrouiller seuls. J'etais tres inquiet pour Tantine Mayi et ses enfants. Mais il semblerait que tout le monde ait ete raisonnable.

Nous pensions que la vie allait reprendre son cours normal avec ses nombreux petits imprevus gerables. Mama Anto etait tombee malade a la fin de ces deux semaines. Je pense que c'etait a cause du surmenage: en tant qu'ainee de la fratrie, c'est elle qui doit prendre le plus de responsabilites pour soutenir sa soeur Mayi. Mais quelques jours apres, un autre beau-frere est decede. Le hasard genere des amas, mais un amas comme celui-ci parait une malediction. Nous avons ete beaucoup moins disponibles. Il fallait que Mama Anto reprenne des forces. Elle sort quand meme d'un cancer et est toujours sous medication. Personnellement, je n'avais juste pas envie de participer, voyant le temps et l'energie que prenait un tel evenement. C'est egoiste, mais je crois aussi qu'on en fait trop ici, lorsqu'il s'agit de la vie sociale. Je sais que Tonton Bijou a beaucoup participe. La veuve est sa soeur nee juste avant lui.

Je tentais de me concentrer sur mes projets (j'ecrirai un post pour vous en parler aujourd'hui, si tout va bien, dans la semaine sinon), tout en ne sachant jamais quand quelque chose allait se passer, mais en tentant de les faire avancer un peu chaque jour. Je developpe mon reseau de contacts. J'essaie d'obtenir des informations. Et Tantine Irmine (la femme de Tonton Daniel, le vice-premier) m'invite a une pre-dote, c'est-a-dire a des fiancailles. Je n'ai pas pu refuser, meme si je sais que je me sens toujours mal dans les fetes avec beaucoup de monde et beaucoup de bruit, meme si j'en avais assez d'etre disponible en continu, meme si je ne voulais pas bloquer un jour dans mon emploi du temps. "C'est la famille" me dit-elle. Concretement: sa niece Gaelle se fiance. Mama Anto est sa soeur de coeur (et etre frere ou soeur de coeur ici est loin d'etre exclusif). Je suis le fils de coeur de Mama Anto. Donc en Suisse, je suis le cousin au deuxieme degre de coeur de coeur de Gaelle. Ici, je suis son frere. Donc je dois venir. C'etait tout de meme tres sympathique. J'ai rencontre des gens interessants. Et on n'est pas reste trop longtemps, car on etait avec Tonton Daniel qui devait defendre le budget du pays face aux deputes le surlendemain, donc etait surcharge et n'a pu passer qu'en coup de vent (c'est-a-dire entre deux et trois heures de presence).

Ces derniers temps, une image me revient souvent. Pour la comprendre, il faut connaitre Minus et Cortex, ainsi que les Schtroumpfs. Voici cette image. Je suis Cortex, froid et calculateur. Minus me demande: "Qu'est-ce qu'on va faire ce soir, Cortex?" et alors que je veux repondre "Comme tous les soirs, Minus: tenter de conquerir le monde!" un Schtroumpf me coupe la parole pour dire, en sautillant, "On va faire une petite fete-euh, on va faire une petite fete-euh!"

Je ne suis pas d'un naturel festif. Je pourrais meme dire que moins il y a de fetes, mieux je me porte. Je prefere realiser quelque chose qui me tient a coeur. Mais ici, il y a tout le temps des fetes. On m'a souvent dit que j'etais quelqu'un qui se sentirait bien en Afrique, car je sais prendre le temps. Mais c'est une image biaisee. S'il est vrai que les gens ici savent prendre le temps, ils en ont a revendre, car les imprevus empechent de planifier trop de choses, et on est souvent au chomage technique. Donc prendre le temps lorsqu'il n'y a rien a faire est simplement normal. Travailler lentement lorsque l'on sait que si on finit le travail trop vite, on devra attendre, c'est sense. Mais savoir prendre le temps tout en etant efficace, c'est une dynamique totalement differente.

Je critique beaucoup, la. Mais rassurez-vous: ce n'est pas ainsi dans l'absolu. Il y a des betes de travail. Des gens qui ne s'arretent jamais, qui sont hyper efficaces. Simplement, il y a certaines choses qui me frappent, car on ne les accepterait pas en Suisse. Et meme si elles sont minoritaires, ce sont celles-la qui me semblent valoir la peine d'etre racontees. Vous en auriez quelque chose a faire, de savoir qu'ici, les gens mangent aussi? Qu'ils dorment aussi la nuit? Qu'ils se lavent aussi? Prenez mes critiques avec du recul, car ce ne sont pas des critiques objectives. Je suis sciemment subjectif.

lundi 5 novembre 2012

Driving in Kinshasa

Il faut que je vous raconte cette journee.

Un copain, Merveille, m'apprend le Lingala. Il est venu ce matin a la maison pour me donner une heure de cours. Ensuite, nous avons discute sur la construction d'un biodigesteur. Construire un biodigesteur est un petit morceau de mes projets. En gros, j'aurais besoin de pouvoir en installer dans une ferme afin d'avoir du gaz de menage a disposition. Mais comme il y a beaucoup de petits elevages de porcs ici a Mont Ngafula et que les gens depensent souvent 18$ par mois en charbon de bois, j'ai pense qu'il pouvait y avoir une clientele pour une entreprise qui installerait des biodigesteurs bon marche. D'apres mes premieres estimations, a raison de 18$ par mois, en un an, l'entier du materiel du biodigesteur est rembourse. Bref, on a parle de ca parce que je n'ai absolument pas le temps de gerer une telle entreprise et qu'il etudie la gestion d'entreprise. Et ce matin, on a fait la liste du materiel qu'il nous fallait pour pouvoir estimer le prix de revient.

Donc nous sommes partis en ville avec ma voiture. Il y a naturellement eu des courses supplementaires a faire. Mais c'est habituel ici. Il faut compter avec ca. Le premier evenement marquant a ete un attentat suicide de mangue. Une mangue a saute du haut de sa branche pour venir casser mon pare-brise. Elle est arrivee tellement fort que j'ai cru qu'on l'avait lancee. Mais bon... ce n'est pas trop grave: il y a juste un bel impact. Bien sur, il y a aussi eu les embouteillages et le respect tres approximatif du code de la route qui vous force a vous imposer. Depasser des taxi-bus arretes sur la chaussee. Laisser passer un vehicule mal place qui bloque une voie depuis cinq minutes. Zigzaguer entre les pietons (mais comme on ne roule pas vite et qu'ils regardent bien, ca ne pose pas trop de probleme). Eviter les nids de poule. Et bien sur: trouver son chemin. Heureusement que Merveille me guidait.

Nous sommes arrives au grand marche (a Zando, pour les connaisseurs et les curieux). Et nous avons commence a chercher. C'est dur de trouver un film tubulaire en polyethylene, a Kinshasa. Quant aux tuyaux en ceramique, on nous a meme affirme que ca n'existait pas. Les tuyaux sont en PVC ici. Ou eventuellement en metal. Bon, comme on avait aussi besoin de tuyaux en PVC, on a pu trouver une bonne partie facilement a un prix raisonnable. Le rechaud a gaz est neanmoins peu courant et assez cher ici. Les Congolais ayant l'habitude d'importer beaucoup de choses d'Europe et, les frais de douane etant exorbitants, le prix de beaucoup de choses est demesure compare aux salaires. Comme il avait plu, c'etait boueux. Plotch plotch. Mais on apprend vite a mettre les pieds au bon endroit. Et on recoit tres facilement de l'aide pour aller trouver ce que l'on cherche. Parfois par des incompetents qui pensent serieusement qu'on peut trouver un rechaud a gaz dans un magasin d'electronique. On a reussi a avoir une partie des informations que l'on cherchait.

Au retour, je suivais machinalement une file de voiture qui allait dans la direction ou je voulais me rendre. Soudain, des policiers me font des grands signes. Il faut que je m'arrete. J'apprends que la file de voiture que je suivais roulait a contresens dans un giratoire et que je suis l'heureux gagnant du tirage au sort d'une contravention. Tout ceci se passant evidemment en plein milieu de la chaussee. Donc embouteillage cree par des policiers esperant ranconner une proie facile. J'ai du gueuler et commencer a rouler avec des policiers accroches a ma voiture pour pouvoir me parquer en dehors de la circulation. Un conseil: si vous etes dans une telle situation: ne vous arretez pas. Forcez le passage et insultez les policiers. La plupart du temps, vous connaissez mieux le code de la route qu'eux. En plus ca defoule. Si vous etes arrete, restez en plein trafic et creez un embouteillage: les policiers finiront par vous lacher en voyant que vous n'etes pas pret a laisser passer les autres automobilistes. Mais il faut compter 15 a 30 minutes d'immobilite. Bon. Je me suis gare. Ils ne voulaient pas entendre l'argument de la file de voiture que je suivais et qui avait continue apres que je sois parti. En gros, ils n'ecoutaient rien. Ils m'ont demande la carte du vehicule et le permis de conduire. Ayez une copie, parce qu'ils peuvent les garder. Personellement, j'ai utilise la methode "je ne bouge pas tant qu'on ne me les a pas rendus". Et je n'ai pas donne la clef du vehicule. Ils m'ont fait alle au poste pour voir le chef. Long debat. Il a fallu donner toutes les informations sur le vehicule et sur moi. Assurance? Il n'y en avait pas. J'ai dit Generalli, en Suisse. Ca a impressionne. Proprietaire du vehicule? Il est encore au nom de l'ancien proprietaire. J'ai dit que c'etait la personne sur la carte et que c'etait une amie. Pour le reste, j'ai joue le role que je joue le mieux: l'integrite absolue. J'ai reconnu mon erreur mais j'ai emmerde sur chaque detail pas clair. Par exemple, l'amende pour un contresens est 20 a 40$, mais sans preciser comment apprecier l'infraction. J'ai reussi a avoir 20$, mais pas en argumentant: en restant inflexible. Je me dis que c'est un moindre mal et que c'est une contribution a la RDC. Mais je n'avais pas la monnaie. Il me propose de me rendre en francs congolais. Je demande le taux et il me donne un taux defavorable. Je refuse et je pars changer mon argent. Au retour, je lui dis que j'ai l'argent, que je veux payer, mais que je veux une quittance (surtout pour lui eviter de mettre l'argent dans sa poche). Il me dit que ce n'est pas possible et qu'il faut revenir demain. Je refuse: pourquoi je devrais payer l'essence juste parce qu'il ne veut pas me donner de quittance. Il me dit que la personne qui fait ca est absente et qu'il ne peut rien faire, meme pas ecrire un papier reconnaissant que j'ai paye mon amende. Et je pique la mouche. Je savais que connaitre le vice-premier ministre est un moyen facile de faire sauter une amende, mais comme c'est un homme qui lutte contre la corruption, je ne voulais pas l'utiliser pour ca. Par contre, pour empecher un policier de mettre le prix de l'amende dans sa poche, je n'ai pas hesite. Et il a fallu commencer a telephoner pour que la situation se debloque. Le superieur est venu. Merveille a mis la touche finale en expliquant au policier ce qu'il risquait et le chef m'a dit de partir sans rien payer. Je n'en revenais pas.

Et sur le retour, il faisait nuit. Il avait plu, donc c'etait boueux par endroits. On s'est perdu plusieurs fois. Il y avait des embouteillages. Mais on a fini par arriver. Malgre le peu de choses utiles accomplies dans cette journee, j'ai eu le sentiment de journee bien remplie.

samedi 3 novembre 2012

Motuka

Motuka veut dire voiture...

Comme mes projets m'imposent beaucoup de deplacements, dont certains sur des routes tres bizarres, j'ai achete un petit 4x4. Une Toyota RAV4.

Il y a eu quelques reparations a faire, notamment colmater les fuites du reservoir. Et la jauge d'essence ne fonctionne plus. Mais le moteur est en bon etat et elle roule bien (il faut juste faire chauffer le moteur avant de partir, sinon elle n'a pas de puissance). J'ai aussi du changer deux pneus et les bougies et remettre de l'acide dans la batterie. Plus encore quelques soudure pour maintenir le pot d'echapement et pour reparer les boulons des roues. J'espere la revendre au moins au prix auquel je l'ai achetee lorsque je partirai.

Conduire a Kinshasa est assez impressionnant au debut. Mais en fait, ce n'est pas difficile la journee. On montre la ou on veut passer et on passe s'il y a la place. Meme si le code de la route est tres approximativement respecte, ca fonctionne pas trop mal. Il faut juste faire attention a ceux qui font comprendre par leur conduite que le plus important pour eux est de gagner deux minutes au peril de leur vie. Bref, la connerie humaine est une constante universelle. Mais on roule en general tres lentement, alors ca compense le code de la route approximatif, et il n'y a pas tellement plus d'accidents qu'en Suisse. Si on peut rouler a 40km/h ou 50km/h, on est content. Ce qui est drole, c'est que je suis considere comme un tres bon conducteur, parce que je sais faire une marche arriere correctement. Je crois que nos routes de montagne sont de tres bons moniteurs d'auto-ecole. Une autre chose que je trouve drole est la necessite de s'imposer sur la route. Il y a certains taxibus qui depassent une file de voiture a l'arret en esperant se faufiler lorsqu'une voiture viendra en face. Quand ils voient un blanc au volant, ils tentent de forcer. Mais comme je me fous completement de l'etat de ma carrosserie, je ne les laisse pas passer et gagne le combat pour la place. Tralala. Et sans cabosse, en plus!

La Mort

Tonton Walker est decede. Brutalement. Sans prevenir. A 52 ans. Un arret cardiaque alors qu'il faisait de la marche. Le medecin qui les suivait d'habitude etait absent. Les premiers soins ont tarde. L'hopital etait loin. Ils n'ont pu que constater le deces.

Nous avons ete parmi les premiers informes et nous sommes partis tout de suite a l'hopital de Ngaliema pour soutenir Tantine Mayi, la veuve de Tonton Walker, la soeur de Mama Anto. Dubois n'etait pas favorable a ce que Mama Anto y aille, car elle est encore faible. Et Tonton Theo, qui etait present, l'approuvait. Je ne comprenais pas pourquoi ils avaient cette retenue.

Je ne connaissais presque pas Tonton Walker. Je lui avais juste parle trois fois. Mais je ne savais pas le reconnaitre. Je connaissais un peu mieux ses deux filles, Brenda et Jenovi, qui avaient passe un peu de temps a la maison. Et, bien que je n'etais pas directement touche par son deces, voir ses proches pleurer a l'hopital de Ngaliema m'a emu. Lorsque nous sommes arrives chez lui, on m'a dit que ses filles venaient d'etre prevenues du deces de leur pere. La, j'ai quasiment pleure avec elles. C'etait tres impressionnant. Les gens exteriorisaient leur douleur. Souvent, ils repetaient la meme phrase en pleurant.  Brenda m'a beaucoup touche lorsqu'elle a commence a repeter "je n'ai pas fini mes etudes". J'ai appris plus tard que Tonton Walker accordait beaucoup d'importance a la formation de ses enfants. J'imagine que Brenda voyait qu'elle ne pourrait jamais dire a son pere qu'elle a reussi. Certaines personnes chantaient Walker en dansant. Ce n'etait pas une chanson et une danse ordonnees. Je ne trouvais meme pas ca beau. C'etait plutot une phrase et un theme avec des sanglots, et des pas de danse assez simples qu'ils faisaient en se deplacant a certains endroits de la maison. Certaines personnes se couchaient par terre. Beaucoup arrivaient a la maison en disant "Non, Walker, non!" et en pleurant. D'autres, comme Jenovi, souffraient en silence, les yeux remplis de larmes. On ne jugeait personne sur sa facon de vivre la douleur. Cette douleur etait la et il fallait la sortir. Et ce n'etait pas une necessite de pleurer. Comme un deces est aussi une occasion de se retrouver, il y a parfois des rires pendant que certaines personnes pleurent. Je me disais que cette facon de faire etait bonne, car on pouvait rapidement evacuer sa souffrance. D'ailleurs, le jour suivant Brenda et Jenovi avaient le sourire, bien que des gens continuaient d'arriver pour pleurer.

Puis j'ai fait connaissance avec la legendaire disponibilite des Kinois. Pour un deces, si l'on pouvait demander a la Terre d'arreter de tourner une semaine, je crois qu'on le ferait. On se levait vers 6h et on se couchait apres minuit, souvent a 2h, pour pouvoir etre presents chez Tantine Mayi, parce que Mama Anto est l'ainee de la fratrie et doit presque tout gerer, parce qu'il faut preparer les nombreuses ceremonies, parce qu'il faut gerer l'afflux de personnes dans la maison, parce que toute planification ici est tellement sujette a modification improvisee qu'il faut etre pret a demarrer au quart de tour a tout moment. En une semaine, on a fait 4 messes pour Tonton Walker. Et on en fera encore une d'ici un mois. La famille vivant a l'etranger est revenue et devaient etre vehicules depuis l'aeroport, loges et nourris. Pendant une semaine, des gens arrivaient chez Tantine Mayi et commencaient a pleurer. Il m'etait impossible de savoir quand nous allions manger. Il fallait attendre de rentrer pour commencer a preparer le repas. Parfois, nous mangions rapidement vers 7h et nous pouvions a nouveau manger a 22h. A voir ce rythme de fous, ce manque d'organisation devant etre assume par une minorite, a sentir cette fatigue s'accumuler, j'ai compris pourquoi Dubois ne voulait pas que Mama Anto prenne cette responsabilite.

Le samedi (6 jours apres son deces), le corps de Tonton Walker a ete sorti de la morgue pour l'exposer a la maison. Il y a eu une celebration. Puis nous sommes alles en cortege a un autre endroit de Kinshasa pour la veillee funebre. Imaginez un cortege precede par un corbillard avec des sirenes de supporters de foot. Imaginez que la presque totalite des corteges funeraires se font le samedi. Imaginez que si vous connaissez un ami de la cousine par alliance du defunt, vous etes convie a la veillee. Imaginez toutes ces voitures en meme temps sur des routes ou la circulation est generalement difficile, notamment a cause des taxi-bus qui s'arretent sur la chaussee pour faire descendre et prendre des passagers, et a cause des vehicules en panne qui condamnent une voie. Nous avons fait une heure et demie pour un kilometre. Arrives au lieu de la veillee, des tentes gigantesques avaient ete montees et des chaises innombrables avaient ete posees. Et les gens arrivaient. J'ai estime le nombre de personnes presentes au plus fort de la veillee a pres de 2000. Sans que l'on sache comment, la celebration a commence apres un temps d'attente impossible a quantifier. Je me suis simplement rendu compte qu'un pretre avait commence de parler. Mais comme avant, il y avait des gens qui chantaient, le niveau sonore restait le meme. Le principe est toujours le meme: vous ne savez pas a quel moment quelque chose va commencer, meme s'il y a un programme preetabli, et vous devez etre pret en permanence a ce qu'il commence. On me dit que c'est la culture ici. Mais je pense que c'est surtout la culture issue de l'esclavage: on n'a rien a planifier, mais on doit toujours etre disponible. Surtout que je ne crois pas que le manque d'organisation soit issu de la culture traditionnelle, car les Baluba ont leur propre alphabet, ce qui est un signe de grande organisation.

Quoi qu'il en soit, lorsqu'on parle de veillee funebre, il faut surtout entendre le mot veillee. Apres une semaine de manque de sommeil, on est cense faire la fete toute la nuit. Il est presque impossible de dormir pour un Suisse: on utilise les amplificateurs les plus puissants possible. Et en me bouchant les oreilles, dans la voiture, avec les fenetres fermees, a 500 metres, j'entendais toujours tres distinctement la musique. Mais les gens d'ici y sont habitues. La plupart dormaient assis sur leur chaise. Mais on ne dort pas bien. On parle du "sommeil de deuil" c'est-a-dire dormir trois minutes et se faire reveiller quelques secondes, puis redormir trois minutes, etc. Et pendant ce temps, des gens dansent toute la nuit. Et le lendemain, ce n'est pas fini: on est rentre pour aller se laver, manger un morceau rapidement, puis repartir pour attendre la quatrieme celebration qui precede l'enterrement. Apres beaucoup de rien faire en etant pret a demarrer, il y a eu la celebration, puis la traversee de Kinshasa pour aller a l'enterrement (avec l'improvisation de qui va dans quelle voiture, comprenant des laisses sur place qui voulaient venir), l'enterrement proprement dit, tres silencieux, a l'europeenne, cette fois, la dalle coulee avec pas assez de ciment et Tonton Bijou qui doit superviser les travaux pour eviter qu'elle ne s'affaisse, puis retour au lieu de la veillee pour vehiculer les gens et attendre que quelque chose se passe et qu'on soit sollicite.

Et la sollicitation arrive. Il faut vehiculer untel et unautre a tel endroit. Mais untel ne vient pas et unautre en a marre et part prendre un taxi. Untel qui arrive une demi-heure plus tard. La grille du portail qui est bloquee. Untroisieme qui doit etre vehicule. Pour finalement rouler en pleine nuit a Kin. Et rouler en pleine nuit a Kin, c'est dur: l'eclairage des voiture est soit inexistant ou presque, soit assimilable a des projecteurs de stade, les pietons se lancent quand meme sur la route sans prevenir (mais au moins ils regardent), les taxibus continuent a s'arreter n'importe ou, des vehicules en panne sont arretes sur la route sans lumiere et sans triangle de panne. Ajoutez a ca la fatigue de la veillee et la necessite de suivre un vehicule connaissant le chemin. On arrive a tel endroit. J'apprends qu'on ne venait que chercher une autre personne et qu'il faudra repartir avec toute l'equipe qui se met a manger. Lorsque la personne qu'on attendait est prete, on s'apprete a partir. Je me leve pour faire reagir les passagers qui ne bronchent pas. Je dis que dans 5 minutes, ma voiture est loin et je pars (j'en avais vraiment marre). Apres trois minutes, ils sont toujours assis. Je leur dis que c'est 5 minutes suisses et que je vais vraiment partir. On m'a deteste, mais on est parti. Puis on est arrive chez Tantine Mayi, ou je devais deposer les personnes. J'apprends qu'on va y rester encore pour manger avant de rentrer a la maison, toujours avec les personnes a vehiculer. J'avais juste besoin de dormir (ca devait etre 22h). Et pendant que j'attendais de pouvoir commencer de manger, un type vient me harceler de questions stupides et tente de me coller plein d'etiquettes. Je n'avais pas la patience et je l'ai quasiment envoye chier. C'etait le frere du defunt. Et il cherchait a etablir le contact avec moi, parce qu'il m'avait apprecie pour ma presence et ma disponibilite. Oups... Comme il y avait deux voitures et que la voiture de Dubois etait assez grande pour vehiculer tout le monde, j'ai pu partir un peu plus vite et aller me coucher. ENFIN!!!

Le lendemain, je me suis leve tot pour preparer le petit dejeuner (cuire les bananes plantain, chauffe l'eau pour le the, acheter le pain, mettre la table) et l'eau chaude pour la douche alors qu'il y avait encore une panne de courant. J'esperais passer une journee tranquille et pouvoir aller me coucher tot pour recuperer. Mais on a continue d'aller voir Tantine Mayi et il a fallu etre disponible en permanence encore une semaine.

Le vendredi, j'ai dit que j'allais m'occuper de moi uniquement et que j'allais me coucher tot pour recuperer. Donc, inutile de compter sur moi. Aujourd'hui, samedi, je suis un peu repose, mais je reste passablement inactif.

Juste pour l'anecdote: j'ai vu un enfant de deux ans mimer les gens pleurant Tonton Walker en chantant, pleurant et dansant, alors que ca faisait plus de dix jours qu'il etait mort.

Mon impression du deuil (le temps ou il y a des gens qui passent a la maison et des ceremonies a n'en plus finir) ici est que c'est beaucoup trop long, qu'on depense enormement d'argent pour les defunts alors que les vivants en on besoin (on a achete un costume de pilote pour Tonton Walker pour l'enterrer, comme c'etait son metier, par exemple), qu'on pretend soutenir les proches alors qu'on leur impose des soucis supplementaires (a l'exception des personnes qui vont reellement les aider et restent disponibles et discretes), qu'on fait durer inutilement quelque chose qui est regle en un jour, a voir comment la douleur est sortie vite le premier jour, qu'on s'inquiete plus du qu'en-dira-t-on que d'autre chose (si les ceremonies ne sont pas assez grandes, les gens diront qu'on a manque de respect au defunt), qu'on invoque la culture pour justifier une periode inutilement pesante (a Lubumbashi, un deuil ne dure pas plus de trois jours, donc ce n'est la culture africaine qui veut ca). Mais au moins, on peut exterioriser sa douleur et on peut prendre le temps pour pleurer le defunt.