Tonton Walker est decede. Brutalement. Sans prevenir. A 52 ans. Un arret cardiaque alors qu'il faisait de la marche. Le medecin qui les suivait d'habitude etait absent. Les premiers soins ont tarde. L'hopital etait loin. Ils n'ont pu que constater le deces.
Nous avons ete parmi les premiers informes et nous sommes partis tout de suite a l'hopital de Ngaliema pour soutenir Tantine Mayi, la veuve de Tonton Walker, la soeur de Mama Anto. Dubois n'etait pas favorable a ce que Mama Anto y aille, car elle est encore faible. Et Tonton Theo, qui etait present, l'approuvait. Je ne comprenais pas pourquoi ils avaient cette retenue.
Je ne connaissais presque pas Tonton Walker. Je lui avais juste parle trois fois. Mais je ne savais pas le reconnaitre. Je connaissais un peu mieux ses deux filles, Brenda et Jenovi, qui avaient passe un peu de temps a la maison. Et, bien que je n'etais pas directement touche par son deces, voir ses proches pleurer a l'hopital de Ngaliema m'a emu. Lorsque nous sommes arrives chez lui, on m'a dit que ses filles venaient d'etre prevenues du deces de leur pere. La, j'ai quasiment pleure avec elles. C'etait tres impressionnant. Les gens exteriorisaient leur douleur. Souvent, ils repetaient la meme phrase en pleurant. Brenda m'a beaucoup touche lorsqu'elle a commence a repeter "je n'ai pas fini mes etudes". J'ai appris plus tard que Tonton Walker accordait beaucoup d'importance a la formation de ses enfants. J'imagine que Brenda voyait qu'elle ne pourrait jamais dire a son pere qu'elle a reussi. Certaines personnes chantaient Walker en dansant. Ce n'etait pas une chanson et une danse ordonnees. Je ne trouvais meme pas ca beau. C'etait plutot une phrase et un theme avec des sanglots, et des pas de danse assez simples qu'ils faisaient en se deplacant a certains endroits de la maison. Certaines personnes se couchaient par terre. Beaucoup arrivaient a la maison en disant "Non, Walker, non!" et en pleurant. D'autres, comme Jenovi, souffraient en silence, les yeux remplis de larmes. On ne jugeait personne sur sa facon de vivre la douleur. Cette douleur etait la et il fallait la sortir. Et ce n'etait pas une necessite de pleurer. Comme un deces est aussi une occasion de se retrouver, il y a parfois des rires pendant que certaines personnes pleurent. Je me disais que cette facon de faire etait bonne, car on pouvait rapidement evacuer sa souffrance. D'ailleurs, le jour suivant Brenda et Jenovi avaient le sourire, bien que des gens continuaient d'arriver pour pleurer.
Puis j'ai fait connaissance avec la legendaire disponibilite des Kinois. Pour un deces, si l'on pouvait demander a la Terre d'arreter de tourner une semaine, je crois qu'on le ferait. On se levait vers 6h et on se couchait apres minuit, souvent a 2h, pour pouvoir etre presents chez Tantine Mayi, parce que Mama Anto est l'ainee de la fratrie et doit presque tout gerer, parce qu'il faut preparer les nombreuses ceremonies, parce qu'il faut gerer l'afflux de personnes dans la maison, parce que toute planification ici est tellement sujette a modification improvisee qu'il faut etre pret a demarrer au quart de tour a tout moment. En une semaine, on a fait 4 messes pour Tonton Walker. Et on en fera encore une d'ici un mois. La famille vivant a l'etranger est revenue et devaient etre vehicules depuis l'aeroport, loges et nourris. Pendant une semaine, des gens arrivaient chez Tantine Mayi et commencaient a pleurer. Il m'etait impossible de savoir quand nous allions manger. Il fallait attendre de rentrer pour commencer a preparer le repas. Parfois, nous mangions rapidement vers 7h et nous pouvions a nouveau manger a 22h. A voir ce rythme de fous, ce manque d'organisation devant etre assume par une minorite, a sentir cette fatigue s'accumuler, j'ai compris pourquoi Dubois ne voulait pas que Mama Anto prenne cette responsabilite.
Le samedi (6 jours apres son deces), le corps de Tonton Walker a ete sorti de la morgue pour l'exposer a la maison. Il y a eu une celebration. Puis nous sommes alles en cortege a un autre endroit de Kinshasa pour la veillee funebre. Imaginez un cortege precede par un corbillard avec des sirenes de supporters de foot. Imaginez que la presque totalite des corteges funeraires se font le samedi. Imaginez que si vous connaissez un ami de la cousine par alliance du defunt, vous etes convie a la veillee. Imaginez toutes ces voitures en meme temps sur des routes ou la circulation est generalement difficile, notamment a cause des taxi-bus qui s'arretent sur la chaussee pour faire descendre et prendre des passagers, et a cause des vehicules en panne qui condamnent une voie. Nous avons fait une heure et demie pour un kilometre. Arrives au lieu de la veillee, des tentes gigantesques avaient ete montees et des chaises innombrables avaient ete posees. Et les gens arrivaient. J'ai estime le nombre de personnes presentes au plus fort de la veillee a pres de 2000. Sans que l'on sache comment, la celebration a commence apres un temps d'attente impossible a quantifier. Je me suis simplement rendu compte qu'un pretre avait commence de parler. Mais comme avant, il y avait des gens qui chantaient, le niveau sonore restait le meme. Le principe est toujours le meme: vous ne savez pas a quel moment quelque chose va commencer, meme s'il y a un programme preetabli, et vous devez etre pret en permanence a ce qu'il commence. On me dit que c'est la culture ici. Mais je pense que c'est surtout la culture issue de l'esclavage: on n'a rien a planifier, mais on doit toujours etre disponible. Surtout que je ne crois pas que le manque d'organisation soit issu de la culture traditionnelle, car les Baluba ont leur propre alphabet, ce qui est un signe de grande organisation.
Quoi qu'il en soit, lorsqu'on parle de veillee funebre, il faut surtout entendre le mot veillee. Apres une semaine de manque de sommeil, on est cense faire la fete toute la nuit. Il est presque impossible de dormir pour un Suisse: on utilise les amplificateurs les plus puissants possible. Et en me bouchant les oreilles, dans la voiture, avec les fenetres fermees, a 500 metres, j'entendais toujours tres distinctement la musique. Mais les gens d'ici y sont habitues. La plupart dormaient assis sur leur chaise. Mais on ne dort pas bien. On parle du "sommeil de deuil" c'est-a-dire dormir trois minutes et se faire reveiller quelques secondes, puis redormir trois minutes, etc. Et pendant ce temps, des gens dansent toute la nuit. Et le lendemain, ce n'est pas fini: on est rentre pour aller se laver, manger un morceau rapidement, puis repartir pour attendre la quatrieme celebration qui precede l'enterrement. Apres beaucoup de rien faire en etant pret a demarrer, il y a eu la celebration, puis la traversee de Kinshasa pour aller a l'enterrement (avec l'improvisation de qui va dans quelle voiture, comprenant des laisses sur place qui voulaient venir), l'enterrement proprement dit, tres silencieux, a l'europeenne, cette fois, la dalle coulee avec pas assez de ciment et Tonton Bijou qui doit superviser les travaux pour eviter qu'elle ne s'affaisse, puis retour au lieu de la veillee pour vehiculer les gens et attendre que quelque chose se passe et qu'on soit sollicite.
Et la sollicitation arrive. Il faut vehiculer untel et unautre a tel endroit. Mais untel ne vient pas et unautre en a marre et part prendre un taxi. Untel qui arrive une demi-heure plus tard. La grille du portail qui est bloquee. Untroisieme qui doit etre vehicule. Pour finalement rouler en pleine nuit a Kin. Et rouler en pleine nuit a Kin, c'est dur: l'eclairage des voiture est soit inexistant ou presque, soit assimilable a des projecteurs de stade, les pietons se lancent quand meme sur la route sans prevenir (mais au moins ils regardent), les taxibus continuent a s'arreter n'importe ou, des vehicules en panne sont arretes sur la route sans lumiere et sans triangle de panne. Ajoutez a ca la fatigue de la veillee et la necessite de suivre un vehicule connaissant le chemin. On arrive a tel endroit. J'apprends qu'on ne venait que chercher une autre personne et qu'il faudra repartir avec toute l'equipe qui se met a manger. Lorsque la personne qu'on attendait est prete, on s'apprete a partir. Je me leve pour faire reagir les passagers qui ne bronchent pas. Je dis que dans 5 minutes, ma voiture est loin et je pars (j'en avais vraiment marre). Apres trois minutes, ils sont toujours assis. Je leur dis que c'est 5 minutes suisses et que je vais vraiment partir. On m'a deteste, mais on est parti. Puis on est arrive chez Tantine Mayi, ou je devais deposer les personnes. J'apprends qu'on va y rester encore pour manger avant de rentrer a la maison, toujours avec les personnes a vehiculer. J'avais juste besoin de dormir (ca devait etre 22h). Et pendant que j'attendais de pouvoir commencer de manger, un type vient me harceler de questions stupides et tente de me coller plein d'etiquettes. Je n'avais pas la patience et je l'ai quasiment envoye chier. C'etait le frere du defunt. Et il cherchait a etablir le contact avec moi, parce qu'il m'avait apprecie pour ma presence et ma disponibilite. Oups... Comme il y avait deux voitures et que la voiture de Dubois etait assez grande pour vehiculer tout le monde, j'ai pu partir un peu plus vite et aller me coucher. ENFIN!!!
Le lendemain, je me suis leve tot pour preparer le petit dejeuner (cuire les bananes plantain, chauffe l'eau pour le the, acheter le pain, mettre la table) et l'eau chaude pour la douche alors qu'il y avait encore une panne de courant. J'esperais passer une journee tranquille et pouvoir aller me coucher tot pour recuperer. Mais on a continue d'aller voir Tantine Mayi et il a fallu etre disponible en permanence encore une semaine.
Le vendredi, j'ai dit que j'allais m'occuper de moi uniquement et que j'allais me coucher tot pour recuperer. Donc, inutile de compter sur moi. Aujourd'hui, samedi, je suis un peu repose, mais je reste passablement inactif.
Juste pour l'anecdote: j'ai vu un enfant de deux ans mimer les gens pleurant Tonton Walker en chantant, pleurant et dansant, alors que ca faisait plus de dix jours qu'il etait mort.
Mon impression du deuil (le temps ou il y a des gens qui passent a la maison et des ceremonies a n'en plus finir) ici est que c'est beaucoup trop long, qu'on depense enormement d'argent pour les defunts alors que les vivants en on besoin (on a achete un costume de pilote pour Tonton Walker pour l'enterrer, comme c'etait son metier, par exemple), qu'on pretend soutenir les proches alors qu'on leur impose des soucis supplementaires (a l'exception des personnes qui vont reellement les aider et restent disponibles et discretes), qu'on fait durer inutilement quelque chose qui est regle en un jour, a voir comment la douleur est sortie vite le premier jour, qu'on s'inquiete plus du qu'en-dira-t-on que d'autre chose (si les ceremonies ne sont pas assez grandes, les gens diront qu'on a manque de respect au defunt), qu'on invoque la culture pour justifier une periode inutilement pesante (a Lubumbashi, un deuil ne dure pas plus de trois jours, donc ce n'est la culture africaine qui veut ca). Mais au moins, on peut exterioriser sa douleur et on peut prendre le temps pour pleurer le defunt.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire